La CCC 2010 était pour moi une partie remise depuis l’édition 2009, que j’avais courue après 2 mois et demi de repos sportif à cause d’un problème au genou et que j’avais abandonnée 18 km avant l’arrivée. Cette défaite m’avait poussée à me lancer un défi : franchir l’arche d’arrivée à Chamonix en 2010. Une longue année d’entraînement, de renforcements musculaires, de soins, d’une alimentation équilibrée, de trails, de quelques podiums, de sacrifices et de bonheur… Il ne manquait rien, cinq jours. Allez, une dernière sortie en vtt dans les Vosges, pas trop technique pour ne pas se fatiguer. 3 heures et demie et on était prêt à rentrer quand le copain à la tête du groupe crie « Dernière descente, tout schuss ! » Casse-cou comme je suis, je me suis lancée fesses derrière la selle à fond derrière lui, je le vois sauter un monticule et je me suis dit : « s’il passe, je passe ». Il s’est retourné pour crier « attention » quand mon vélo était déjà incrusté dans une ornière et moi par terre ; j’ai senti un grand choc et une immense douleur. Je n’arrivais pas à savoir d’où elle venait ; comme toute bonne coureuse, j’ai regardé les genoux, qui, bien évidemment, n’avaient pas souffert et je me suis dit « tout va bien », mais quand j’ai voulu me relever, j’ai failli tomber dans les pommes. Heureusement, dans le groupe il y avait un radiologue et un médecin généraliste qui tout de suite m’ont dit « ne fais pas la fortiche, tu t’es cassé l’épaule ». Une visite à l’hosto d’Épinal, radio, scan. La chance d’avoir un copain radiologue n’a pas évité le verdict : fracture du trochiter égale pas de course à pied entre 3 à 5 semaines, avec le bras immobilisé. Et pour conclure, le chirurgien de garde m’a dit « ne rêve même pas de faire cette course. Ne cherche pas, tu ne trouveras pas à Metz un seul toubib qui te dira vas y !!! » Je n’étais pas prête à accepter cet avis. Pourquoi, alors qu’on court avec les jambes, je n’irais pas faire cette course ? Depuis le temps que j’en rêvais, attendre encore un an pour la faire ! Cette nuit-là j’ai pleuré. Lundi, le miracle. J’ai failli « rouler une pelle » au chirurgien à Metz, qui ne voyait pas de risques de déplacement de la fracture et le seul inconvénient qu’il voyait de faire cette course allait être la douleur. Cette possibilité de relever mon défi valait encore plus que toutes les possibles souffrances. Et puis l’option de rester à la maison, spectatrice immobile devant mon destin, à attendre 2011, ne me tentait pas vraiment. Comme d’habitude, avant de passer mes épreuves, j’ai appelé mes parents, mon père m’a donné sa bénédiction « Je ne m’inquiète pas pour toi ma fille, si tu veux y arriver, tu vas y arriver ! » Quant à ma mère, elle a eu des doutes sur mon équilibre mental lol. Le bras en écharpe avait l’air de tenir la route. J’ai fait quelques essais pour courir en immobilisant le bras de façon à pouvoir le bouger facilement, mettre et enlever mon sac à dos sans que cela ne me fasse pas trop mal, descendre et remonter ma jupette pour faire pipi, me changer les habits en cas de pluie, et manger des barres et gels. Eh oui, on parle d’un ultra trail de 98 km et 5600 m D+ qui me prendra entre 18 et 22 heures. On dit souvent que le succès d’un ultra est dans l’alimentation régulière, le bon choix du matos et aussi l’utilisation des bâtons. Mais quand vous avez un bobo quelque part, je vous le garantis : le mental vaut plus qu’une tonne de gels coup de fouet. Jeudi on est arrivé à Chamonix avec un soleil radieux, une ambiance de rêve, l’excitation dans l’air avec plus de 5000 coureurs alignés sur les 4 courses. Mon cœur battait plus fort que la douleur qui ne me quittait pas un moment. 6465 : j’avais mon dossard pour la CCC 2010, le pied ! Vendredi, 5 heures du matin, un sms qui annonce de la pluie et du temps froid. BINGO ! Le défi commence, mettre mon soutif a déjà été une belle épreuve de courage ! Prête, je ne suis pas passée inaperçue à mon arrivée, les traileurs n’arrivaient pas à comprendre ce que je foutais là le bras en écharpe : courage ou folie ? Un peu des deux, je tiens à vous le dire (NDLR: nous confirmons) Le décompte sous la flotte, 10, 9, 8, les frissons, l’émotion, 2000 coureurs et moi j’étais là, 3, 2,1, C-C-C, c’est parti ! Et c’est parti avec deux pensées en tête : ne pas tomber et surtout ne pas lâcher. Joël et moi, on avait planifié de faire la course ensemble, cela me donnait une certaine sérénité. Les premiers kilomètres ça coinçait partout, il fallait passer entre les coureurs comme des obstacles pour avancer. On s’est perdus de vue, s’est retrouvés au premier ravito et s’est reperdus de vue définitivement quelques minutes après. Grand moment de solitude mais je gardais l’espoir de le retrouver au moins à Champex avant d’entamer la nuit. Cependant, je n’ai pas manqué d’aide pour remplir ma gourde, ni d’ encouragements de tous les coureurs qui trouvaient ma démarche de plus en plus courageuse, au fur et à mesure que la course devenait plus dure. Je n’arrivais pas à ouvrir les gels et les barres avec une main, remonter ma jupette quand je faisais pipi me faisait voir les étoiles, refaire mes lacets après les descentes était impossible, les montées sans bâtons et sans un bras nécessitaient beaucoup de volonté. Malgré tout j’ai gardé le sourire, je sentais qu’être là était une chance et rien n’était suffisamment fort pour gâcher cette sensation de bonheur, même pas la douleur. Chaque ravito était une arrivée, une petite réussite et un nouveau point de départ pour une nouvelle aventure qui me donnait encore plus d’énergie pour me relancer. La pluie s’est arrêtée. Arrivée à La Fouly après 41 bornes, l’écharpe m’avait fait une brulure, le bras faisait mal et à ce moment-là, je les ai vus !! Ils étaient là, mon mari et mes enfants, j’étais au ciel. Ils m’ont aidée à mettre la crème anti-frottement, à changer le t-shirt et A REFAIRE MES LACETS !! Choses de base mais que je n’arrivais pas à faire toute seule et que j’ai appréciées comme les plus doux des câlins. Je suis repartie comme neuve, objectif Champex. J’avais une heure d’avance par rapport à l’année précédente, ce qui me donnait la pêche car cela signifiait prendre la route pour la deuxième partie de la course de jour. 200 m d+ avant Champex, je demande à un gars de prendre un seul bâton de mon sac à dos. Il l’a déplié et m’a dit « tiens -toi, je vais tirer pour que tu puisses te reposer ». Au début j’ai essayé de suivre son allure mais il a insisté « fais pas d’effort, je peux tirer pour les deux, cela t’aidera à te reposer pour la nuit après Champex, repose-toi, t’as déjà beaucoup fait ». On est montés comme deux gazelles. Et voilà l’esprit trail, la solidarité avant tout, plus de kilomètres plus de valeurs en sortent ! Quelle chance que la mienne ! 56Km Champex, 7h10 pm, 9h10 de course. C’est le grand ravito, où les familles attendent et les coureurs se reposent pour manger une bonne assiette de pâtes et se rhabiller pour la nuit. Je sentais un mélange d’euphorie, fatigue et douleur. Dieu bénit ma famille qui était là pour m’aider, le bras était déjà intouchable. J’apprends que Joël avait abandonné à la Fouly. Je me suis sentie responsable et triste comme si une autre partie de moi allait me manquer pour la suite. Malgré l’aide je suis restée 50 minutes. C’est reparti, la course recommence et voilà la pluie et le temps froid…J’ai couru jusqu’à la montée suivante, déjà à la frontale la nuit est tombée plus tôt à cause du mauvais temps. C’est une montée rocheuse bien technique, il faut utiliser ses bâtons et ses mains donc le handicap commence à peser. Ça glisse, ça mouille, c’est dur, je tiens. Premier ruisseau dur à passer sans mettre les pieds complètement dans l’eau, personne derrière, personne devant, je glisse, je continue. 3 ruisseaux encore ; je décide à chaque fois d’attendre qu’il y ait quelqu’un pour passer avec moi. J’ai froid, au ravito d’après on était plusieurs à mettre la couverture de survie en dessous du t-shirt que j’ai enlevé et remis avec beaucoup de mal. Un thé chaud et la descente… J’adore descendre, c’était un single-track en zigzag, plein de boue, rempli de racines et de pierres, en temps normal je me serais bien éclatée à doubler les peureux, mais cette fois-ci j’étais avec eux. Bienvenue en enfer, je n avais pas d’équilibre ni de point d’appuis, je glisse une fois je tombe sur mes fesses et sur le bras, le cassé bien sûr ; on ne voyait plus mon écharpe, mouillée par la pluie, et qui s’était transformée en tissu froissé. Je retombe et un gars me relève de mon bras cassé. Aie, tout tourne, j’ai mal, très mal, je continue et j’entends « Angie, c’est toi ? » c’était Joseph, un copain, grand soulagement on continue ensemble jusqu’au ravito. Mon mari me strappe le bras et m’attache l’écharpe pour bien l’immobiliser, J’apprends que l’UTMB a été arrêtée. Je crains le pire : encore 2 descentes, le terrain est dangereux, le risque de casser le bras complètement est là ! Je continue mais je commence à réfléchir à la possibilité d’arrêter. Je ne veux pas lâcher, j’ai encore du jus et je suis capable de supporter la douleur jusqu’au bout mais si je tombe et si je me casse encore plus le bras ?… Est-ce que je dois être sensée pour une fois dans ma vie ? 1200 m d+ je rencontre Jacques et Joseph, j’hésite, je les laisse partir, la montée me parait interminable, le terrain est de plus en plus dangereux. C’est un peu fou, je n’ai pas peur de me faire mal mais de passer 3 mois à l’arrêt. J’arrive à Catogne, 75 km, et je décide d’arrêter. Il fallait descendre de toute manière à Vallorcine, je connaissais la descente, à peine 6 km mais le terrain était boueux et dangereux. C’est fini, j’ai annoncé mon abandon et un bénévole a marché devant moi pendant 3km puis un 4x4 m’a déposée à Vallorcine. Et j’apprends qu’ils ont arrêté la course à cause du danger ! Ce n’était pas dangereux que pour moi, j’ai les larmes aux yeux, je suis fière, à mes yeux je l’ai faite !!! J’ai fait un bisou sur le front de mes enfants qui dormaient dans la voiture, maman a réussi ! (3 points pour l’UTMB 2011) Angie Celaya. |
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